Le cri d’alarme d’une iranienne

Femme, intellectuelle et iranienne, Chahdortt Djavann réinvente la figure du « dissident » tel que feu l’Union soviétique en produisait avant la chute du mur de Berlin. Comme les Boukovski, Glouzman, Gorbanevskaya des années 1980, cette écrivaine combat l’islam politique avec les seules armes à sa disposition : les mots. A mon corps défendant, l’Occident s’ajoute aux conférences, articles et analyses que l’auteure a déjà produits – en sus de son travail d’écrivain – pour réveiller une opinion publique occidentale insouciante, naïve ou endormie face au danger islamiste en général, et atomique iranien en particulier.

Bien que la philosophie politique ne soit pas son métier, Chahdortt Djavann pense juste. Peu importe qu’elle bricole sa définition du totalitarisme islamique à l’aide du Petit Robert ou d’un article du Monde, ses cris viennent du coeur autant que de la raison : « Comment croire qu’une religion née il y a mille quatre cents ans en Arabie, et dont toute l’architecture repose sur le caractère immuable des lois qui la constituent, puisse être une religion progressiste ? » Quant à savoir si les dogmes islamiques sont, dans une société moderne, « compatible(s) avec la démocratie : la réponse est non ! (…) » D’ailleurs, affirme-t-elle, toute religion juive, chrétienne ou autre qui se mêlerait de prendre le pouvoir engendrerait un système totalitaire. Mais comme l’islam est son sujet, « la question qui se pose vraiment est de savoir si les musulmans ont la capacité de remettre l’islam à sa place, c’est-à-dire dans le domaine privé ».

Soucieuse de communiquer sur la menace que les mollahs iraniens font courir à la paix mondiale, elle consacre de longues pages à reconstituer la rancoeur du clergé iranien. Relégué dans les mosquées par la dynastie Pahlavi, jamais le clergé chiite d’Iran n’a accepté de voir son influence réduite à la sphère privée. Khomeyni, perçu en Occident comme un leader « sincère », incarne en réalité un leader revanchard et frustré qui haïssait aussi « sincèrement » la démocratie, la liberté et l’Occident qu' »Hitler les Juifs ». Dans cette perspective, la volonté des mollahs de se doter d’un arsenal nucléaire terrifie tout simplement l’auteure. En 2006, quand le président iranien Ahmadinejad organise de vastes manoeuvres militaires, « savez-vous comment s’appelaient ces grandes manoeuvres avec leurs missiles Shahab, Zelzal et Fateh ? Je vous le donne en mille : elles s’appelaient Grand Prophète 2… Mahomet lui-même, associé à des tirs de missiles (…). Vous imaginez l’armée française organiser des manoeuvres intitulées Jésus 2 ? »

Comme les ex-dissidents soviétiques, Chahdortt Djavann ne comprend pas la « tolérance » occidentale – et française – vis-à-vis d’un Iran atomique. Elle comprend encore moins que l’Etat s’interroge sur un éventuel financement de mosquées sur le territoire national. Les mosquées ne sont pas « de simples lieux de culte, ils sont une institutionnalisation de l’islam en France », menace-t-elle. Et cet « enracinement » lui apparaît porter en germe des conflits de pouvoir d’autant plus dangereux qu’il incite la majorité des musulmans, aujourd’hui non pratiquants, à rompre avec leurs habitudes et à se plier à un modèle dominant du musulman agenouillé et priant cinq fois par jour. Pour les croyants qui souhaitent prier et seulement prier, Chahdortt Djavann propose au clergé catholique d’ouvrir ses églises une ou deux fois par semaine. Tant pis si, ces jours-là, les églises accueillent un public plus nombreux que le dimanche.

L’écriture fougueuse, les propos résolus et surtout le titre de l’ouvrage masquent mal la peine ressentie par l’auteure face aux brutalités que les fanatiques religieux infligent à son pays. Chahdortt Djavann a choisi l’Occident, comme d’autres en leur temps choisissaient « la liberté ». A regret comme l’indique le titre. Mais les douleurs de l’exil, la chose est connue, ont toujours favorisé la création littéraire.

Yves Mamou Article paru dans Le Monde du 10.11.07.

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